Manuscrit Bloren

Les pièces de clavecin du Manuscrit de Mademoiselle de Bloren sont parues chez Henry Lemoine en février 2006.

manuscrit Bloren

 Errata:

  • prélude page 22, 5ème système, main droite : le pincé sur do# est à remplacer par un tremblement.                                                                       6ème système, main droite : il faut ajouter un bécarre devant le 2è si.
  • bourrée page 27, mesure 22, main droite : il faut ajouter un dièse devant le sol.
  • sarabande page 28, mesure 24, main droite: il faut ajouter un bécarre devant le 2è si.

L'existence de ce manuscrit a été révélée en 1998 avec la parution du Catalogue des Fonds Musicaux Anciens conservés dans les bibliothèques de la région Rhône-Alpes . Il est conservé à la Médiathèque Municipale de Roanne (Loire) à coté de partitions portant les armes de Louis César de Crémeaux, marquis d'Entragues mort en 1747.

Lorsqu'on le feuillette le manuscrit pour la première fois, on a l'impression d'un brouillon inutilisable. Mademoiselle de Bloren ne se doutait pas que son cahier passerait à la postérité ! Elle ne donne presqu'aucun titre et ne mentionne jamais l'auteur.

Le premier travail a été de classer les oeuvres en trois catégories :

  • pièces de clavecin écrites en clé de sol deuxième ligne et clé de fa troisième
  • morceaux de musique de chambre présentés en clé de sol première ligne et clé de fa quatrième.                                                Les basses ne sont pas chiffrées mais les anciens traités de basse continue, encore influencés par les règles de contrepoint,  indiquent comment trouver les accords en fonction du mouvement mélodique de la basse.
  • airs pour voix et basse continue reconnaissables à la présence des paroles et, là, du chiffrage.

Ensuite, je me suis attaché à redonner un titre à chaque pièce car leurs textures rythmiques faisaient souvent référence à la danse:

  • menuet aux phrases de quatre mesures (plus rarement six), à 3/4. Le rythme de base [noire-blanche, blanche-noire] n'est pas toujours apparent
  • sarabande à 3/4, dont les phrases se terminent parfois sur le troisième temps. La sarabande "grave" est plus fournie, plus ornementée que la sarabande "légère"
  • chaconne à 3/4, identifiable à sa basse obstinée et sa forme générale en un bloc et non deux parties
  • Folies d'Espagne, thème bien connu
  • forlane à 6/4, composée de petites phrases dites deux fois de suite
  • canarie à 3/8, répétant son rythme [croche pointée, double croche, croche]
  • bourrée de rythme binaire, avec une noire ou une croche de levée. Celle qu'on trouve dans le manuscrit adopte la forme rondeau, alternant refrain et couplets
  • gavotte binaire mais dont la levée vaut deux noires
  • musette dont la basse imite le bourdon de la cornemuse
  • allemande à quatre temps, très écrite mais en doubles croches


Il faut ajouter l'ouverture qui, sans faire référence à la danse, se reconnait à sa forme en trois parties : 
deux mouvements à C barré encadrent une section de rythme ternaire.

L'étape suivante - consulter le maximum de partitions - a été assez monotone. 

Tourner la page : rien ici. Tourner la page : rien ici. Tourner la page : rien ici... entrecoupée de quelques cris de victoire.                 Tourner la page : toujours rien. Tourner la page : mmm?...YES ! (oups ! On ne crie pas dans une bibliothèque)

Après plusieurs identifications, l'organisation du manuscrit devient plus claire. On peut y voir cinq phases:


I/ Extraits d'Amadis de Gresse de DESTOUCHES , 1699 (identifiés dans le Catalogue des Fonds Musicaux Anciens)

II/ Pièces de clavecin

  • Forlane d'après CAMPRA, l'Europe Galante, 1697
  • Menuet d'après CAMPRA, l'Europe Galante, 1697
  • Gavotte de LEBEGUE publiée en 1667 dans son Livre de Clavecin
  • Menuet Dans nos Bois d'après LULLY, transcrit aussi par D'Anglebert
  • Menuet dont une variation se trouve dans le manuscrit de mademoiselle LaPierre, 1687
  • [Musette]
  • Chaconne de Galatée d'après LULLY, Acis et Galatée, 1686, transcrite aussi par D'Anglebert
  • [Menuet]
  • [Sarabande]
  • [Menuets 1 et 2]
  • Descente de Mars d'après LULLY, Thésée, 1675 (identifiée dans le Catalogue des Fonds Musicaux Anciens)
  • Gavotte de HARDEL et Double de Louis COUPERIN présents dans le manuscrit Bauyn
  • Prélude (titré)
  • Les Folies d'Espagne , thème bien connu
  • Menuet et Double (titrés)
  • Menuet (titré) pour un dessus, inséré ultérieurement
  • [Bourrée en Rondeau]
  • [Sarabande]
  • Sarabande d'après DESTOUCHES, Issé, 1697
  • Menuet (titré) pour un dessus, inséré ultérieurement


III/ Airs (voix et basse-continue)

  • Quel funeste coup
  • Qu'une longue tiedeur ennuye , de Sébastien LE CAMUS, Premier Livre , 1678
  • Laissez durer la nuit , de Sébastien LE CAMUS, Premier Livre , 1678
  • Ah! Fuyons ce dangereux sejour , de Sébastien LE CAMUS, Premier Livre , 1678
  • Amour Cruel Amour , de Sébastien LE CAMUS, Premier Livre , 1678
  • Ah que vous estes heureux , de Sébastien LE CAMUS, Premier Livre , 1678
  • On n'ayme plus dans ce bocage , de Sébastien LE CAMUS, Premier Li vre, 1678
  • Air pour les Egyptiens et Canaries d'après LULLY, Isis, 1677. Pièces pour dessus et basse qu'on a tenté d'insérer, sans trouver une place suffisante !
  • Helas rien n'adoucit l'excès de mon malheur
  • Permettez moi de boire , air à deux voix.


IV/ Tentatives en musique de chambre

  • [Ouverture] pour dessus et basse continue
  • [Marche ?] pour dessus et basse continue
  • pièce dont la basse manque
  • [ouverture] dont la basse manque
  • [gavotte] dont la basse manque
  • pièce à C barré pour dessus et basse continue, partiellement remaniée pour le clavecin
  • pièce dont la basse manque
  • menuet pour deux dessus (comme il est observé dans le Catalogue, Michel Corrette en donnera une version pour clavecin en 1749)


V/ Dernières pages

  • [Allemande] à quatre parties sur deux portées
  • [gavotte] pour clavecin
  • Puissant dieux de la mer , air dont la basse manque
  • son come farfa letta, air dont la basse manque
  • pièce avec changements de mesure, pour dessus et basse continue, partiellement remaniée pour le clavecin

Aucune date n'apparaît dans ce manuscrit dont la rédaction n'a pu commencer avant 1699. 

Les pièces datées à ce jour sont du 17è siècle. L'allemande, qui semble être la plus tardive sur le plan du style, pourrait avoir été composée dans le premier quart du 18è...

Un jour, peut-être, on retrouvera la trace de la mystérieuse personne qui a écrit sur une page :

Dans son ensemble le manuscrit offre une jolie représentation de l'activité musicale des amateurs au dix-huitième siècle. Une pratique pluridisciplinaire en phase avec la pédagogie de notre époque où la "transversalité" entre les disciplines est un maître-mot !
On chante, on joue du clavecin, on fait de la musique de chambre. On réalise des basses chiffrées.
On transcrit les pièces à succès du moment : il suffit d'en recopier les parties de dessus et de basse, puis d'ajouter à sa guise quelques notes de remplissage pour donner une belle résonnance au clavecin, quelques accords pour souligner les impulsions rythmiques, quelques ornements pour souligner les notes les plus expressives...

Dans la perspective d'une publication les morceaux de musique de chambre, souvent incomplets, n'apportaient rien d'essentiel. Les beaux airs de Sébastien Le Camus renvoient au livre de 1678 comme à une source plus sûre, qui mériterait une réédition en fac-simile.

Les pièces de clavecin, en revanche, pouvaient intéresser des élèves et des musiciens amateurs. Elles ne nécessitent pas un haut niveau technique mais il fallait en faciliter l'accès avec une édition moderne. Elles se prêtent à différentes exploitations pédagogiques:


  • ornementation : 
ajouter des ornements à la gavotte de Lebègue page 7, puis utiliser la version éditée en 1667 comme "corrigé" (fac-simile Fuzeau ou edition de l'Oiseau-Lyre).

Même proposition pour la gavotte de Hardel page 20, dotée d'un double par Louis Couperin, et dont on trouve d'autres versions dans les pièces de Hardel (édition de l'Oiseau-Lyre), et dans les pièces de Louis Couperin (édition Heugel ou l'Oiseau-Lyre...)
On peut ensuite se lancer "sans filet" dans l'ornementation des autres pièces.


  • travail sur la transcription : 

le dessus et la basse sont du compositeur (Campra, Lully ou Destouches pour ceux qui sont identifiés) mais le remplissage est l'oeuvre de mademoiselle de Bloren, autant dire de tout-un-chacun.
On peut donc le modifier à sa guise, et la comparaison de la "Descente de Mars" page 18 avec la version du manuscrit de mademoiselle LaPierre (fac-simile Minkoff) encourage à le faire.
De là à se lancer dans d'autres transcriptions, il n'y a qu'un pas. Ce sera renouer avec une pratique habituelle à l'époque, qui développe le sens de l'analyse et donne une bonne compréhension du langage propre au clavecin. Pourquoi ne pas commencer par les deux pièces du manuscrit dont la transcrition est restée inachevée ? Vous les trouverez dans la rubrique 
Partitions

  • relation avec la danse : 
le menuet page 8 reste proche de l'original dansable de Lully. La transcription faite par D'Anglebert (édition Heugel), en revanche, bascule totalement du coté de la musique à écouter-seulement.

La confrontation donne comme points de repère, deux pôles entre lesquels on jugera où se situe telle ou telle danse-à-jouer du répertoire de clavecin...