Huguette Dreyfus
J’ai toujours eu de la chance. L’année de mes dix-sept ans par exemple. Je terminais mes études de clavecin au conservatoire d’Annecy et n’étais guère tenté de les poursuivre à Genève ou Paris. Or, juste à cet instant, une classe de clavecin s’ouvrait au Conservatoire Supérieur de Lyon, offrant le professeur idéal : Madame Huguette Dreyfus.
Pour faire sa connaissance et recueillir son avis sur l’opportunité de m’orienter vers le métier de claveciniste, je m’inscris aussitôt à un stage, terriblement impressionné à l’idée de rencontrer la grande Dame, interprète reconnue internationalement et professeur si réputé que tous les clavecinistes connus à l’époque avaient étudié avec elle.
A mon grand soulagement je ne suis pas le premier à lui jouer quelque chose. Mais quand arrive mon tour, je ne tremble plus. Comme tous les autres, je souris. Huguette Dreyfus diffuse avant tout sa bonne humeur, son incroyable énergie, sa chaleur humaine. Elle masse les épaules d’un élève trop tendu, lui remuant le dos pendant qu’il joue, le malmenant jusqu’à déstabiliser ses mains sur le clavier, jusqu’à ce qu’il rie enfin lui aussi. En quelques secondes nos carapaces, nos raideurs s’envolent.
Quelques temps plus tard, j’ai cette merveilleuse chance d’appartenir à la nouvelle classe lyonnaise. On vouvoie le professeur mais on l’appelle par son prénom. Pas de chichis mais un respect authentique, comme celui que prodigue l’amitié.
Les locaux sont provisoires, vétustes, exigus. On commence par acheter une plante verte, tous ensemble, qu’on porte triomphalement jusqu’au premier étage. C’est un lieu où l’on accrochera quelques guirlandes à Noël, où l’on tirera les rois. Où notre professeur, après une tournée au Japon, se mettra à genou devant le clavecin pour nous montrer la cérémonie du thé.
Ce décor étant posé, quelle exigence ! De sa voix claire elle nous poussera toujours plus loin, avec cette autorité naturelle qui, j’y songe maintenant, reposait sur une implacable confiance en l’autre.
Quelle intelligence, aussi ! En ce début des années 1980 la manière de jouer du clavecin et d’appréhender le répertoire viennent de changer radicalement. On parle d’une « nouvelle génération du clavecin ». Jamais elle ne nous demandera de jouer à sa manière, ce qu’elle attend c’est une interprétation convaincante, cohérente, sans faiblesse technique.
Si deux options se présentent pour l’interprète il faut qu’il sache habilement réaliser les deux, avant d’opter pour l’une ou l’autre. « Remplissez vos tiroirs », dit-elle ! Il ne faut pas se contenter de choisir, par défaut, l’interprétation qu’on réussit le plus facilement. « Si vous ouvrez les tiroirs d’une commode pour choisir un objet, et qu’un seul de ces tiroirs en contient un, vous ne faites aucun choix en réalité ! »
Coté public j’ai le souvenir d’un grand concert dans une grande salle, dans une grande ville. Un orchestre morne nous livre une musique contemporaine particulièrement hermétique. Concert mondain. Interminable. Je tiens parce qu’en fin de programme, j’attends le Concerto pour clavecin de Poulenc.
Quand Huguette fait son entrée, d’un coup toute la salle se réveille. Robe moirée, escarpins argents à la mode de la décennie précédente, maquillage inspiré de celui des danseuses de l’Opéra, elle dit quelques mots avec ses intonations de cristal. Un port altier, une présence qui, immédiatement, investit toute la salle jusqu’aux derniers bancs du dernier balcon. Puis elle joue, initiatrice d’un rayonnement qui, certes, ne s’est pas éteint dans la nuit du 16 mai 2016...
Concert en hommage à Huguette Dreyfus
Conservatoire National Supérieur de Lyon - salle Varèse - 3 quai Chauveau 69009 Lyon
lundi 2 oct 2017 à 20h, entrée libre.
Avec la participation de Françoise Lengellé,
des enseignants Odile Edouard et Yves Rechsteiner,
des étudiants de la classe de Jean-Marc Aymes et Yves Rechsteiner,
d’anciens étudiants de la classe d’Huguette Dreyfus : Brigitte Tramier, Carole Parer, Jean-Pierre Duclos, Martial Morand, Florence Lab-Duroy, Camille Mugot-Drillien, Michel Laizé, Anne-Catherine Vinay, Kimiyo Mochizuki, Chiao-Pin Kuo, Carine Seguin et Alain Cahagne
Au programme :
Concerto en la mineur pour quatre clavecins de J.-S. Bach
Concerto en ré mineur pour quatre clavecins d'après A. Vivaldi
Fandango n°4 en ré majeur de L. Boccherini dans une version à six clavecins...